Entrevue avec Frédéric Tremblay
Quelle a été ta réaction lorsque tu as reçu une réponse positive de ton éditeur ?
Il y a toute une histoire derrière cette fameuse première réponse positive. J'avais déjà fait la tournée des grands éditeurs avec mon tout premier roman, de style fantasy celui-là. Tous l'avaient refusé - et même si ça m'avait attristé, je constate après coup que le roman ne méritait rien d'autre, comme la plupart des premiers romans sans doute! Seulement au milieu de toutes ces lettres de refus sèches et systématiques, il y avait celle de Joey Cornu qui me répondait au moyen d'un rapport de lecture... d'environ 8 pages, c'est dire! L'éditrice avait pris la peine de m'indiquer les points négatifs et positifs du roman, de même que des pistes concrètes de moyens que je pouvais prendre pour les retravailler. Peu de maisons font preuve de pareille attention et j'ai été charmé. Quand je me suis retrouvé avec un deuxième manuscrit prêt à être envoyé, j'ai spontanément décidé de retourner vers Joey Cornu. ''Une ruse inversée'', qui s'appelait à l'époque ''Histoire d'une ruse inversée'', n'avait à vrai dire pas même l'ambition d'être publiée : je m'attendais à recevoir un autre rapport de lecture et comme ce récit m'intéressait plus que le premier, j'étais prêt à le retravailler selon les conseils de l'éditrice. Quelle surprise a donc été la mienne quand elle m'a appelé (tout le monde le sait, en édition, la sonnerie du téléphone annonce souvent de bonnes nouvelles) pour me dire qu'elle était intéressée à le publier sous cette forme! Malheureusement elle avait beaucoup de projets déjà sur la planche à l'époque et il m'a fallu attendre près d'un an avant d'être édité. Mais, demandez-le à mon éditrice, dès que les démarches ont été entreprises, les courriels ont plu dans sa boîte de réception et rien n'aurait pu m'arrêter!
Est-ce que c'était un rêve que tu chérissais depuis longtemps ? Que pense ta famille de ton parcours ?
Si je peux me permettre de répondre à la question au moyen d'un souvenir, je le ferai. C'est d'accord? J'y vais alors. Je me souviens de la première fois où j'ai annoncé à mes parents que, plus tard, je voulais être auteur. J'avais à peu près sept ou huit ans je crois, et j'étais déjà à l'époque un lecteur assidu. Ma mère a accueilli la déclaration comme font toutes les mères de toutes les déclarations du genre, avec un peu de sourire et beaucoup d'indulgence. En me disant : mais voyons, Frédéric, vivre en écrivant, ça ne se fait pas! Et moi je lui sortais les noms des plus grands auteurs que je connaissais pour lui prouver que c'était possible. Les choses en sont restées là, moi espérant lui prouver un jour que je n'étais pas tout à fait dans le tort, elle certaine que le temps allait me ramener à la raison. Quand j'ai commencé à écrire, je l'ai fait dans l'incognito. Mon 'coming out' littéraire, si on me passe l'expression, s'est fait à l'occasion d'un oral à la fin de ma première année de secondaire. Mes amis et mes parents étaient bien curieux de me lire, mais je savais que ma mère ne me voyait toujours que comme un jeune qui essaie d'imiter les grands. Le jour où je lui suis arrivé avec la nouvelle qu'une maison d'éditions était intéressée à me publier, je crois, j'espère, je suis sûr que ça l'a fait hésiter un peu. Et je suis sûr qu'elle aussi se souvient de la première fois où je lui ai dit que je voulais devenir auteur. Bien sûr, même pour l'instant, vivre de ma plume reste plus un rêve qu'une réalité. Peu d'auteurs y arrivent vraiment, je m'en rends bien compte. Mais peu importe ce que l'avenir me réserve, je continuerai d'écrire. C'est une passion qui vient de beaucoup trop loin en moi pour que quelques épreuves arrivent à l'en déloger. Ce que ma famille pense de mon parcours, en résumé? Elle se soucie un peu trop de questions d'argent dont je tiens à rester éloigné aussi longtemps que possible. Mais ne soyons pas trop durs. Il faut mentionner aussi que mes parents sont très fiers de leur fils et m'encouragent pour l'instant de toutes les façons humainement imaginables!
Comment l'inspiration t'est-elle venue pour rédiger La ruse inversée ? Pour quelle raison avoir choisi d'écrire un récit se déroulant à l'époque du roi Louis XV ?
Pour la plus simple des raisons, et j'ai nommé : la passion! Parce que je suis un mordu d'Histoire, il n'y avait rien de plus naturel pour moi que de situer mon récit bien avant notre époque. Quant au choix du roi en particulier, eh bien... disons que je voulais un roman (ou deux dans ce cas) qui se déroulait tout près de la Révolution, sans être directement ''impliqué'' dans ce grand mouvement de l'histoire de France. Pas parce que je trouvais que cet événement était trop grand pour moi - j'ai d'ailleurs déjà écrit une autre histoire qui se passe en plein dans la Révolution, c'est vraiment un phénomène qui me fascine. Mais pour les guerres de noblesse que je mets en scène, il valait mieux éviter les complications d'un pareil séisme social! Je suis un grand lecteur et un encore plus grand admirateur d'Alexandre Dumas et bien que les littérateurs soient encore nombreux à le décrier, on peut avouer sans mal qu'il avait le sens de la grandeur, du suspense et du drame! Je ne sais pas si c'est sa plume qui a fait naître ma passion ou si c'est cette dernière qui m'a fait apprécier son oeuvre à ce point (l'éternel questionnement de l'oeuf ou de la poule!), mais bref, on peut sans mal le relier au choix que j'ai fait de porter mon écriture vers l'avenue historique. Quant à la question de l'inspiration elle-même... ''Une ruse inversée'' devait au départ être une simple nouvelle, une simple scène, celle du souper et de l'échange des coupes de vin qui donne son sens au titre. Par la suite se sont greffés des personnages, sur ces mêmes personnages se sont peints des visages, et sur ses visages se sont inscrits des émotions qu'il fallait bien justifier et expliquer au lecteur! Ainsi la nouvelle est devenue un roman, et le roman a trouvé sa suite.
Afin d'écrire ce roman historique, tu as sûrement dû trouver des informations sur l'époque. A-t-il été facile de faire toutes ces recherches ?
Je ne sais pas si ça peut nuire à ma crédibilité, mais je dois avouer que j'ai fait peu de ''recherches'' au sens conventionnel du terme : soit celui de l'auteur le nez fourré dans des livres plus épais et plus lourds que lui, qui prend des notes dans un petit cahier, compare ses sources pour en vérifier la valeur, etc. Et pourtant, la plupart des lecteurs et des journalistes qui parlaient de la Ruse faisaient remarquer la précision du détail historique! Ma connaissance des us et coutumes de l'époque me vient surtout de mes lectures de romans. Donc si recherches il y a eu, elles ont été disséminées dans toutes les histoires que j'ai dévorées depuis que j'ai appris à lire. Pas de notes, pas de gros volumes poussiéreux (ça, c'est seulement dans ma tête sans doute!) et pas de difficultés insurmontables. Comment pourrait-il y en avoir? J'adore lire et c'est de ces mêmes lectures que j'ai tiré les souvenirs qui m'ont aidé lors de l'écriture du roman. Comme on dit, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles!
Quel personnage a une personnalité similaire à la tienne ? Est-ce que des personnes réelles ont eu une certaine influence sur les protagonistes de ton histoire ?
Si quelques-unes de mes caractéristiques ou de celles de mon entourage se sont retrouvées injectées dans la personnalité de mes personnages, c'était inconsciemment. Et je ne dis pas ça pour convenir à la fameuse phrase : ''ceci est une oeuvre de fiction, toute ressemblance avec des personnes réelles serait fortuite...''. Bien sûr j'ai écrit des oeuvres plus personnelles où, soit par désir de confidence, soit par goût de satire, j'ai inclus des problématiques, voire des citations qui me viennent directement de mes proches. Mais pas pour le duo historique. Quoiqu'après coup, je puisse sans trop de mal y penser et dire ce que chacun a de moi. Je dirais que je suis un mélange du machiavélisme des père et fils d'Aguefort (quel auteur n'est pas fanatique des machinations!), de la volonté de Rose (qui se fera surtout sentir dans la suite) et de la discrète utilité des domestiques Michelle et Francelin. Reste que pour les romans véritablement autobiographiques, il faudra attendre un peu. Chose sûre, ça viendra bien assez tôt!
Est-ce que tu as un nouveau roman en cours d'écriture ? Si oui, est-il possible de nous donner quelques indices sur le sujet de ta prochaine histoire ?
Oh la la, la belle question! Par chance tu m'attrapes dans une passe plus ouverte de mon évolution littéraire. À une certaine époque, comme mentionné plus tôt, personne ne savait que j'écrivais. Ensuite je préférais taire les détails des oeuvres en cours de composition. Maintenant je parle de tous mes projets à tout le monde, ceux sur lesquels je travaille dans le moment et ceux sur lesquels je ne travaillerai que dans de longues années! Voici donc un résumé desdits projets du moment. Je n'ai pas écrit de vrai roman complet depuis ''En un mot'', achevé en mars dernier, mais je n'ai pas arrêté d'écrire pour autant : c'est plutôt que je me suis tourné vers le fantastique univers du théâtre! Après en avoir fait deux années de suite avec la troupe de mon école, j'ai choisi que je n'étais pas fait pour être sur la scène, mais j'ai compris que j'adorerais entendre mes mots clamés par des acteurs plus talentueux. Trois pièces sont sorties de cette idée, la première une pièce entièrement écrite en vers et en rimes qui emprunte aux thèmes chers à la tragicomédie du XVIIIe (amour, trahison et quiproquos à profusion!), les deux suivantes des comédies satiriques sur le thème des rites funéraires modernes qui feront toutes deux parties du triptyque théâtral ''La Mort à l'Agonie''... dont le troisième volet reste encore à écrire! Mais bon, je m'écarte de la question je crois. Je n'ai rien qui soit en composition dans l'immédiat, mais je n'ai aucun problème à vous parler de ce qui sera très certainement mon prochain roman, celui dont les idées marinent dans mon esprit depuis bien des mois déjà! Le titre en sera ''Couvre-feu''. Celui-là aussi à la base devait être assez court, mais comme pour la Ruse, j'y ai ajouté des personnages, des situations... de la chair autour de l'os, quoi! L'idée de base m'en est venue quand j'ai entendu parler de la fameuse proposition du maire Gendron de Huntingdon. La simple pensée d'une pareille limitation ne visant que les jeunes, sans raison véritablement valable, m'a révolté à un tel point que j'ai tout de suite su que je devais écrire une histoire à ce propos. Je m'imaginais, moi qui peux pédaler jusqu'aux quatre ou cinq heures de la nuit pour aller voir des amis que je n'aurais pas l'occasion de voir pendant la journée, privé du droit le plus élémentaire de circuler à ma guise... et je l'ai relié à toutes les autres occasions que la vie offre aux adolescents d'en vouloir aux règlements discriminatoires que la société leur oppose et qui, s'ils ont déjà été utiles à une époque, n'ont plus de raison d'être aujourd'hui... je les ai prises en note, ma mémoire en a gardé la trace à force de revivre ces situations d'injustice que tout le monde accepte parce qu'on ne peut supposément rien faire... et de là est né ''Couvre-feu''. Un roman engagé pour la cause de la jeunesse? Évidemment on devine que c'est une situation qui me touche particulièrement! J'en ferai une sorte de dystopie à la ''Farhenheit 451'', ''1984'' ou '''Le meilleur des mondes''... toutes lectures dont je m'abreuve à l'excès pour bien capter toutes les subtilités du genre avant de m'y essayer!
Quelles sont tes méthodes de travail lors de l'écriture d'un roman ?
Elles évoluent beaucoup, au même titre que moi pour l'instant, je dirais! À une certaine époque, j'étais assez rigoureux : chaque soir je prenais mon Laptop et j'écrivais 2000 mots, quoi qu'il se passe, peu importe les idées que j'avais. Puis j'ai compris que ça tombait plus souvent dans le remplissage qu'autre chose, ce qui me forçait à élaguer une bonne partie de mes textes pour les rendre potables. Alors j'ai décidé d'y aller de façon un peu plus naturelle. Je commence quand ça me dit, j'arrête quand ça me chante. Il y a des jours où j'écris plus, d'autres où je n'écris pas du tout. Je laisse les idées me guider. J'étais encore au secondaire quand j'ai écrit mes derniers romans, donc j'avais une routine de vie plus stable qui menait à une routine d'écriture plus stable. Maintenant que mes horaires sont aléatoires, je ne sais pas si j'arriverai à me replonger quotidiennement dans la composition. C'est un espoir! La régularité des séances d'écriture mise de côté, on peut mentionner le fait que je préfère composer sur un clavier d'ordinateur. De cette façon mes mains peuvent aller aussi vite que mes idées et je ne me sens pas noyé sous un flot de mots incontrôlable (ce qui se passerait inévitablement si j'écrivais à la main, je suis tellement lent!). Et la particularité que j'ai de ne pas être vraiment... ami avec les plans. Quand les idées sont bien fixées dans ma tête, je n'ai besoin que de quelques mots clés jetés sur une feuille, un titre, des noms de personnages, des émotions, et ça y est, je n'oublierai plus aucun détail de mon histoire!
À quel moment as-tu découvert ta passion pour les mots ?
Ma passion des mots en tant que leur spectateur, soit en tant que lecteur, je l'ai toujours connue. J'en ai douté parfois, j'ai cru que ce n'était pas assez, que j'étais fait pour autre chose et que je pouvais être plus heureux ailleurs que dans les mots... mais ils sont vraiment faits pour moi, et moi je suis fait pour eux. C'est seulement quand je baigne dans l'encre que je me sens comme un poisson dans l'eau, ah ah! Ou, pour être plus prosaïque, quand je trempe dans les lettres, parce qu'il faut dire que j'aime les mots autant à l'oral qu'à l'écrit. Pour ce qui est de découvrir ma passion pour les mots en tant qu'auteur, le déclic s'est fait dans ma tête en sixième année du primaire, lors de la composition d'un récit policier. La majorité des gars de mon groupe d'amis se sont dits alors qu'ils aimaient bien écrire et ont commencé des romans. Quelques-uns ont arrêté après quelques pages, d'autres après quelques chapitres. Je crois bien que j'ai été le seul à continuer tout le long de mon secondaire... et assurément le seul à être allé jusqu'à la publication! L'école aide beaucoup au processus en créant des occasions de rencontre entres les livres et les élèves. Mais elle pourrait aller encore plus loin non pas en obligeant la composition, mais en offrant davantage d'occasions à ceux qui s'y sentent à l'aise. Plus de concours, plus de discussions avec des auteurs, et pourquoi pas des projets de collaboration avec des écrivains intéressés par le talent de la jeunesse? Je suis certain que l'idée pourrait faire des petits - et aider la passion des mots à s'épanouir mieux encore.
Quels sont tes coups de coeur littéraires ? Quels genres dévores-tu généralement ?Si je devais mentionner un seul roman, ce serait sans aucun doute ''Le Comte de Monte-Cristo'', justement d'Alexandre Dumas dont je parlais tout à l'heure. Son écriture est tellement fluide, tellement passionnée, tellement, comment dire... à la fois poétique et mathématique. Ce qui semble une contradiction dans les termes, mais se révèle un mariage habilement réussi sous la plume de Dumas. Lisez-le pour comprendre : l'invitation est lancée! Ces temps-ci je lis également beaucoup de pièces de théâtre... mais je les passe à un tel rythme que spontanément aucune ne me vient à l'esprit. En général je suis un lecteur plutôt omnivore. Roman policier, roman d'amour, roman écrit il y a des centaines d'années ou alors publié il y a quelques jours, essais politiques ou environnementaux... j'aime tout ce qui peut satisfaire ma curiosité. C'est le but des livres, non?
Que conseillerais-tu aux jeunes passionnés qui voudraient se faire publier un jour ?
En premier lieu, d'essayer de tous les styles : on peut se révéler surpris en découvrant chez soi des goûts et affinités dont on ne se serait jamais douté auparavant. Ensuite de ne pas craindre les refus, ils sont nécessaires et peu d'auteurs peuvent dire qu'ils n'en ont essuyé aucun à leurs débuts. De s'entourer d'un comité de lecteurs à la fois fidèles et honnêtes... et si jamais les proches ne sont pas assez objectifs, d'aller en chercher sur les forums d'écriture : les échanges d'auteurs amateurs y foisonnent et à condition de faire un tant soit peu confiance, l'avis d'un inconnu se révèle souvent plus franc que celui de son entourage. De continuer de lire sans arrêt, parce qu'on ne cesse jamais d'apprendre. Et, conseil parmi les conseils, de ne pas considérer la publication comme l'ultime finalité. Nombreux sont les auteurs talentueux qui n'ont pas besoin d'être publiés pour trouver leurs lecteurs... et aussi nombreux ceux qui sont publiés mais ne les trouvent pas! Il existe des avenues différentes que l'édition et qui peuvent réussir aussi bien, sinon mieux. Bien sûr on est plutôt portés à considérer la gloire des ventes astronomiques et des longues files au Salon du Livre pour juger de la réussite d'un auteur. Ça semblera cliché, mais l'important est plutôt dans la qualité du lien auteur-lecteur que dans la quantité desdits lecteurs. Personnellement, je préfèrerai toujours les messages d'appréciation de quelques lecteurs comparativement à des chiffres élevés sur le rapport des librairies, s'ils doivent s'accompagner d'une boîte de réception tristement vide.
Je remercie cordialement Frédéric Tremblay pour ses réponses authentiques et je vous invite à voir à ces adresses ci-contre pour en connaître davantage sur l'auteur et lire mon avis de lecture sur son roman Une ruse inversée.
- Biographie de l'auteur ( enfin, ce que j'ai pu trouver ) : Frédéric Tremblay
- Critique de son roman Une ruse inversée : Une ruse inversée
D'autre part, vous aurez l'occasion de lire très bientôt mon avis sur L'heure des redevances, la suite de Une ruse inversée, car il sera ma prochaine lecture sur ma liste. À venir !
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