L'harmonie d'une retrouvaille
Les notes dansaient doucement sous ses doigts écartelés, dans les filaments de l'aurore qui passaient à travers les vitres colorées de l'église. Les yeux fermés, ses mains jouaient la cadence au rythme de la mélodie et lorsque une mauvaise note secouait la salle silencieuse, elle reprenait doucement le morceau sans broncher. Son talent exceptionnel ravissait les gens du village qui n'avaient jamais vu une beauté angélique jouée avec une telle perfection, comme si sa vie comblée d'honneur en dépendait. Or, malgré toute cette attention, elle aimait se réfugier dans cette église contemporaine pour y jouer cette chanson bouleversante, témoin de son drame. Lorsque ses doigts blancs glissaient sur les dents du piano, elle se sentait en parfaite union avec la musique et ne se réveillait de cette léthargie qu'au crépuscule. C'était son jardin secret puisque cette chanson tant jouée par ses mains renfermait un passé lourd que personne n'aurait supporté de transporter sur ses épaules.
Tandis que la musique se répandait entre les murs clos de l'église, les portes s'ouvrirent sur une jeune femme au teint blanchis par le froid. Elle se laissa glisser timidement dans l'allée, pour ensuite se poser sur l'un des sièges, contemplant la femme pianiste avec ravissement. Celle-ci continuait de faire danser les touches sans être offusquée par cette présence impromptue. La jeune dame, face à cette mélodie sublime qui lui rappelait ses souvenirs, essuya quelques larmes avant de se recueillir sur une prière tremblante.
Lorsque la pianiste sentit des pas lents se rapprocher de sa bulle musicale, elle ouvrit les yeux avec agacement en ralentissant la cadence des notes. Mais son coeur se bouscula face à ce regard larmoyant d'un bleu tendre et cette peau divinement pâle. Pendant quelques secondes, les mauvaises notes jaillirent du piano, mais elle se ressaisit en baissant les yeux. À sa grande surprise, la jeune intrue vint prendre une place sur le banc pour poser ses doigts d'adolescentes sur les touches du piano. Les deux femmes se regardèrent timidement, chacune savourant ce moment émouvant. Puis, l'étrangère fit danser doucement les touches au même rythme que la pianiste, donnant à la mélodie un sens nouveau et plus pur que l'ancienne. Ce tableau parfait renfermait les élans du passé, mais aussi l'éclat d'une retrouvaille entre deux femmes uniques aux physiques quasiment similaires. À travers cette harmonie céleste se cachait le passé d'une famille anéantis par une tuerie militaire qui avait saccagé la vie de deux personnes. Elle recelait aussi l'apparition d'un miracle, celle d'une mère et sa fille qui se retrouvent sous le flambeau musical d'une chanson.
Fanny Mathieu ( 2009 )
Source : paroles-chanson.org
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