dimanche 14 novembre 2010

Le bar des habitudes de Franz Bartelt

Le bar des habitudes


Coup de coeur !



Éditions : Gallimard / Folio Classique
Traduction : Aucune
Année : 2007
Pages : 292
Catégorie : Nouvelles
Extrait : Quand il découvrit la photo en troisième page du journal, cela lui fit battre le coeur, comme de retrouver une amie perdue de vue. En morte, cette femme était vraiment très bien. Elle paraissait dix ans plus jeune. Sa tête baignait dans un massif de fleurs, et la lumière se dispersait naturellement dans l'ombre colorée, avec des langueurs quasi amoureuses. Tueur en série, p. 164.

Résumé 

« Guy Vouine était mou de naissance. Il avait coulé de sa mère, comme d'un pot de confiture renversé. L'accouchement n'avait requis aucun effort, aucune poussée. L'enfant faisait un petit tas sur les linges et le cri qu'il exhala pour manifester qu'il était vivant montait de lui avec la légèreté d'une vapeur. La sage-femme, qui en avait vu de toute sorte, se dit seulement qu'elle n'en avait encore jamais vu de si mou. Plus tard, il s'avéra que l'enfant physiquement mou était également mou à l'intérieur... » Au fil de ces seize brefs récits, Franz Bartelt raconte des destinées exemplaires, dans un registre tour à tour goguenard et tendre, loufoque et cruel.

Source : livre.fnac.com



Mon avis

Et si je vous disais que ce recueil de nouvelles a créé chez-moi un plaisir littéraire si agréable qu’il porte désormais le statut honorable de coup de cœur ? Eh oui ! Habituellement, ce n’est pas un genre littéraire que j’adule puisque je préfère les longs récits narratifs qu’aux petits textes. Or, cette fois-ci et grâce à mon cours de français, je suis tombée nez à nez avec un bijou qui se savoure comme du bonbon. Au départ, j’appréhendais les nouvelles qui allaient suivre, ayant souvent eux naguère quelques déceptions. Mais le premier texte entamé, voilà que je m’immergeais dans un de ces romans impossible à déposer. À la fin, je souffrais de ne plus pouvoir me délecter d’autres nouvelles aussi captivantes que cyniques. L’écriture de l’auteur y est pour quelque chose, car sa fluidité n’a d’égal que son éloquence. Parallèlement, les 16 nouvelles qui constituent le recueil sont douées d’une originalité exemplaire, mêlant les habitudes de la vie à l’insolite des évènements qui viennent les bousculer. C’est pourquoi le titre est significatif : un bar est généralement l’endroit où les personnes n’affichent plus leur barrière habituelle et s’ouvrent totalement. Cette ouverture de caractère vient se mélanger avec la routine quotidienne des protagonistes pour créer des petits récits qui se colorent à la fois de légèreté et d’intensité, d’humour cynique et de relents poétiques.

Le bar des habitudes est la première nouvelle qui ouvre la voie au lecteur : un homme dont les repères disparaissent lorsqu’en allant à son restaurant habituel, la routine est éclatée subtilement ; Mauvais rêve s’enchaîne ensuite, lequel m’a singulièrement plu pour son audace : un homme animé, depuis son rêve, par le désir de tuer sa femme, alors qu’il n’a qu’amour pour elle ; Ma tournée, bien que bref, souligne une réalité émotionnelle souvent vécue par certaines femmes : une serveuse a le coup de foudre pour un étranger arrivant au bar dans le cadre de son travail ; l’humour et la pitié viennent par la suite se confondre dans La tourte dans lequel un mendiant s’invite gentiment dans une simple fête familiale, à la grande surprise de tous. Un mendiant envers qui je me suis attachée pendant les quelques pages composant le texte ; Date limite est tout simplement cocasse, malgré le fait qu’elle reflète les notions d’image corporelle dans la société : une femme inscrit sa date limite de « consommation physique » sur son ventre, un choix qu’elle regrette rendue à cette date en question ; Histoire molle est l’un des meilleurs textes à cause de sa… flaccidité. On ressent facilement toute la mollesse des personnages au corps aussi flasque que de la pâte à pizza ( désolée, c’est la seule idée qui me vient à l’esprit ! ) ; Le souvenir de Fred  aborde d’une manière détournée la différence des êtres, même un peu le racisme : Tony a toujours eu l’habitude de croiser Fred en allant à la boulangerie. Or, depuis son voyage, Fred est devenu noir. Mais est-ce encore Fred ? ; Un parcours sans faute, quant à elle, présente un couple dont le mari est un professeur de français enflammé par son métier et qui corrige continuellement sa femme, laquelle trouvera son bonheur ailleurs ; Lili suit en quelques pages la vie d’Aurélie, alias Lili, qui apprend plus tard qu’elle s’était mariée à un homme ayant déjà tué son épouse ; Un mauvais joueur est une autre nouvelle plutôt étrange où un homme fait un pari sur son poids avec d’autres clients du bar, au sein desquels se trouve un mauvais joueur qui ne croira pas cet homme qui insinue être «  creux » ; Tueur en série, est selon moi, la nouvelle que j’ai préférée le plus entre tous. Un homme décide de tuer les femmes de notaire pour devenir un meurtrier célèbre. D’après sa vision des choses, ses victimes sont ses œuvres et il les améliore au fil de ces meurtres. C’est ce côté-ci qui donne tout le charme au texte puisque la sordidité des gestes se mélange à la beauté artistique ; Le sixième commandement est, disons, plus centrée sur la sexualité : un homme imagine d’une manière directe chaque jour, à midi, que sa femme le trompe ; Dans le train est une nouvelle symboliste je dirais. Un homme est prisonnier d’un train qui ne s’arrête jamais et dont il est le seul à se rendre compte. Je pense que ceci est un reflet de notre vie, que nous ne savons en aucune circonstance lorsque nous arriverons à notre objectif ; Testament d’un homme trop aimé est un texte que j’ai trouvé singulièrement narcissique ; un homme au physique parfait et divin raconte comment les femmes se suicident après l’avoir entrevu ; Un voisin redoutable est désopilant puisque c’est un sujet vécu par de nombreuses personnes, notamment en banlieue. Pas besoin de résumer, le titre en dit largement ! ; et finalement, Ta tête d’assassin aborde le fantasme d’une femme qui veut que la mimique d’assassin de son amoureux lui appartienne intimement, jusqu’à prendre des proportions abusives.

Ainsi, je n’ai plus qu’un seul mot à dire pour ce délicieux recueil qui m’a fait connaître un nouvel auteur : plonger sans hésiter !

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